Argumentaire

Argumentaire développé

La publication d'un ensemble de trésors monétaires des Xe-XIe siècles et en particulier du volume XXVII de la collection Trésors Monétaires publiée par la Bibliothèque nationale de France : Monnayages de Francie. Des derniers Carolingiens aux premiers Capétiens vient préciser et modifier assez sensiblement la vision des monnayages de cette période en particulier pour les régions centrales du royaume de France : Île de France, Centre, Hauts de France. Près de 5 000 exemplaires catalogués augmentant de moitié le corpus des monnaies du xe s. révèlent des monnayages, par exemple de Notre-Dame de Paris, de Hugues Capet ou de Robert Ier à Quentovic, Arras ou Saint-Médard de Soissons… et de nouvelles émissions dans bien des ateliers. C'est l'occasion de poser la question de la place et des fonctions de la monnaie dans l'organisation politique, sociale et économique pour cette zone et plus largement dans les évolutions d'un monde que l'on qualifie de féodal.

L'objet de ce colloque est plus précisément de confronter les données issues des enquêtes numismatiques et archéologiques et les interprétations historiques qui ont été proposées et débattues.

 Au départ on peut poser le constat d'une présence (limitée) de la monnaie dans les travaux et les réflexions des archéologues et des historiens, d'une part et d'autre part le caractère schématique ou "daté" des cadres de réflexion dans lesquels se développe le travail des numismates.

 

I Numismatique et archéologie : méthodes et données nouvelles

Un premier ensemble de communications visera à présenter un point des connaissances sur les monnaies et les monnayages de la période, soit du point de vue des méthodes mises en œuvre, soit sous l'angle d'études régionales dont certaines font actuellement l'objet de doctorats.

À la base et au cœur des travaux des numismates le recensement des émissions des autorités émettrices ou des ateliers contribue à la patiente reconstruction d'une succession des émissions monétaires (typo-chronologie). Or les abondants trésors récemment étudiés apportent leur lot de nouveautés qui enrichissent les corpus, bouleversent les classements et remettent en question l'image générale de la période vue comme un temps de monnaie rare, aux émissions ponctuelles et de faible ampleur.

Les apports des études numismatiques récentes ou en cours reposent également sur les analyses métalliques. On pense d'abord aux mesures du titre permettant de décrire des évolutions différenciées (et contrôlées ?) des monnayages, mais les teneurs en éléments mineurs et traces ont montré la diffusion de pratiques originales comme l'altération de l'argent par ajout de laiton plutôt que de cuivre qui caractérisent, semble-t-il, l'ensemble de la période. Des analyses isotopiques, enfin, ont été réalisées pour tracer la diffusion et la destinée du métal de Melle dans le cadre du projet ANR Fahma (Filière de l'argent au haut Moyen Âge), dont les résultats sont publiés en 2017 par l'EPHE ; certaines données inédites concernent le xe s. et pourront être utilement comparées avec celles qui sont en cours sur les monnaies italiennes dans le cadre du projet ERC Neumed sur la région des collines métallifères de Toscane. L'échantillon réduit des analyses disponibles ne permet pas encore de tirer des conclusions fermes en matière de stocks métalliques, qu'il s'agisse de leur provenance, du rythme de leur renouvellement ou, par là de leur évaluation quantitative.

Du point de vue de l'évaluation quantitative, les récentes publications de trésors comportent les premières études de coin (caractéroscopie) menées systématiquement sur plusieurs milliers de pièces du haut Moyen Âge et on sait tout ce que la quantification des émissions monétaires antiques doit à ce type d'enquête.

Les enquêtes archéologiques ont également mis en évidence la présence des monnaies, en quantités variables selon les types de sites et selon les périodes. Des communications présenteront pour la zone centrale du Royaume, Île de France, Hauts de France des exemples de sites, castraux ou élitaires, ruraux, urbains y compris le cas de l'emporium de Quentovic, de façon à illustrer la place des trouvailles monétaires, quantitativement et qualitativement, dans la compréhension des sites. Elles seront d'autant plus utiles que l'étude des contextes et des matériels associés contribue à éclairer les usages et les fonctions des monnaies. Trouvailles archéologiques, trésors monétaires et trouvailles isolées sont enfin complémentaires pour l'étude de la circulation monétaire, qui peut également s'appuyer sur les sources écrites.

Ces exposés sur les méthodes et les résultats des recherches numismatiques et archéologiques permettront surtout de nourrir les discussions sur les questions générales que les nouvelles données posent sur les fonctions de la monnaie dont la présence dans le monde des xe - xie s. ne peut plus être marginalisée et sur la chronologie des diverses évolutions.

 

II Monnayages et monnaies au début de la période féodale

La question sera envisagée sous différents aspects et, pour commencer, du point de vue politique des autorités émettrices, de leur intervention pour exercer le droit de monnaie, pour y mettre leur empreinte, qu'il s'agisse d'apposer un nom, un monogramme, ou de choisir une typologie ou une métrologie propres ou encore d'en contrôler l'émission (ateliers, conditions techniques, quantités) et la circulation.

La constitution d'aires monétaires régionales différenciées caractérise en effet l'ensemble de la période. Elle a été mise en évidence dès la seconde partie du ixe s. et son articulation avec la formation des entités politiques a été depuis longtemps étudiée. Or Jens Christian Moesgaard a récemment proposé d'inscrire les émissions de Normandie dans le cadre de renovationes monetae où la refonte de l'ensemble des pièces en circulation revêt un caractère obligatoire et quasi fiscal, ce qui suppose un haut degré de contrôle et d'organisation. De même les études de coins posent la question d'ateliers principaux centralisant la fabrication, ce qui s'inscrit en contradiction avec des schémas d'émiettement du monnayage.

La question des échanges et de l'économie sera nécessairement présente dans les communications et les discussions pour cette période où l'alimentation des ateliers relève normalement des usagers plus que des besoins spécifiques des émetteurs. Trésors et trouvailles monétaires en fouilles permettent de préciser le tableau des circulations monétaires régionales à côté de circulations à longue distance qui perdurent, des trésors vikings jusqu'au voyage de Jérusalem et qu'il convient de caractériser. Quelle que soit la relative abondance des pièces, il n'en reste pas moins à s'interroger sur la part des monnaies dans le mixte d'objets de valeur et de res valentes mentionnés comme moyens de paiement dans les documents de l'époque. En effet le recensement systématique des mentions écrites relatives aux monnaies n'a été engagé qu'à des échelles régionales, pour tenir compte des impératifs de critique propre à chaque source, et on peut regretter que le recensement de l'ensemble des textes plus spécifiquement relatifs au monnayage n'ait pas été entrepris depuis les efforts de W. Jesse, (Quellenbuch zur Münz-und Geldgeschichte des Mittelalters, Halle, 1924).

L'autre objectif de ces rencontres sera de dégager les temps forts dans les évolutions dans le domaine monétaire pris comme reflet d'autres changements dans la société et l'économie, qu'il s'agisse de constantes : régionalisation de la circulation et de la typologie monétaires dès avant la fin du ixe s., présence de zinc dans l'alliage monétaire de la fin du ixe à la fin du xie s. ou d'inflexions, dans le nombre des ateliers monétaires, les quantités estimées de la production, la spécification de la monnaie en usage selon la région. De même l'abondance soudaine des monnaies au tournant des xe et xie s. dans des fouilles, mais pour des sites dont l'occupation est centrée sur cette période (Andone en Charente ou Colletières en Isère) conduit à reprendre du point de vue monétaire des questions plus générales. Les tournants de l'an mil ou de l'an 1100 sont-ils perceptibles dans le domaine monétaire ? Et réciproquement, comment les données tirées des recherches numismatiques peuvent-elles contribuer à la construction de cadres d'interprétation de la société féodale ?

À cet égard le choix d'un cadre chronologique couvrant le xie siècle en même temps que le xe siècle revêt une importance d'autant plus grande que les deux siècles sont le plus souvent envisagés de façon séparée par les études numismatiques, qui distinguent "monnaies carolingiennes" et "monnaies capétiennes" sans que la réflexion ait jamais vraiment porté sur la catégorie des "monnaies féodales" depuis la publication de l'ouvrage de F. Poey d'Avant en 1858 (Monnaies féodales de France, 3 vol, Paris 1858-1862).

La démarche envisagée sera, après la présentation de points historiographiques et d'exposés synthétiques sur l'apport des principales méthodes mises en œuvre dans les travaux numismatiques et archéologiques pour les soumettre à la discussion. La seconde partie du projet s'attachera au cadre régional, en faisant dialoguer des présentations de numismates, d'archéologues et d'historiens.

Des contacts ont été pris pour une publication.

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